Le tennis et Eric Noblet
Peux-tu nous parler de la façon dont tu as découvert le tennis ?
En fait, c’est bizarre de dire ça, mais je crois que n’ai jamais découvert le tennis : le tennis a toujours fait partie de ma vie. Au commencement, c’était la passion de mes parents. Une passion dévorante ! En landau, j’étais déjà sur le terrain. En poussette aussi. Puis, à peine debout, je fournissais les balles à Papa/Maman entre deux échanges…voire pendant les échanges, c’était plus rigolo… Évidemment, je voulais jouer moi aussi. Faire comme eux et leurs amis. En toute logique, j’en suis venu à user des balles au mur, puis sur un vrai grand terrain.
Par contre, je me souviens très bien de l’instant, où après une discussion avec un camarade de classe en CM1, j’ai découvert que tout le monde ne jouait pas au tennis. Et pire, que tout le monde ne faisait pas forcément un sport. Le choc… Pour moi, le tennis, le sport, c’était un peu comme manger, boire, dormir. Quelque chose de vital en somme. Et ceci, sans même m’en rendre compte.
Te souviens-tu de tes premiers matchs en compétition officielle. Quelles furent tes premières impressions ?
Pas du tout. Aucun souvenir. La compétition s’est imposée naturellement à moi après ma première année de véritable cours (vers 8 ans). Disons que jouer en tournoi était dans la logique des choses : je n’avais pas conscience que l’on pouvait jouer au tennis, ou faire une activité sportive autrement que par le biais de la compétition. En fait, j’ignorais encore beaucoup de choses concernant ce sport et je suivais juste le mouvement donné par mes proches sans vraiment me l’approprier.
Évidemment, en match, jouer au tennis juste parce que c’est comme ça n’aide pas à se transcender dans les moments difficiles…
Je me souviens que je gagnais pas mal de matchs parce que j’étais plus « fort », sans savoir pourquoi d’ailleurs, mais dès que cela se compliquait et qu’il fallait se battre véritablement, avec le couteau entre les dents, je n’étais pas toujours au rendez-vous. C’est venu progressivement par la suite, mais ça a pris du temps. Maturation tardive comme on dit.*
À partir de quel moment le tennis est-il devenu ton sport favori ?
Le tennis est devenu MON sport véritablement vers 12-13 ans, quand tu commences à te poser des questions sur le pourquoi tu fais les choses et que tu dois, à un moment, prendre une décision sur ton implication. Je me rappelle avoir effectué un sport « complémentaire » différent chaque année sur recommandation de mes entraîneurs tennis. Notamment des sports-co (foot, basket), très bons pour la coordination, pour l’esprit d’équipe aussi. Fallait bien compenser avec mon sport terriblement individuel. J’ai fait pas mal d’athlétisme aussi : cross, et javelot. J’ai même fait de l’Aïkido ! Et du Yoga ! Pour le self-control sur le terrain, of course… Enfin bon, toujours dans le but de compléter ce que soi-disant le tennis n’apporte pas suffisamment, mais dont j’avais besoin selon les adultes.
À un moment, j’ai dit stop. Je n’aime qu’un sport, c’est le tennis, et je veux le faire à fond désormais et ne pas perdre mon temps dans des activités secondaires que je n’ai pas choisi moi-même.
Quand est-ce que l’envie de faire de la compétition a pris le dessus ?
Dans la foulée. Quand j’ai décidé que c’était mon sport, j’ai aussi décidé de m’investir totalement dans la compétition. Cela ne veut pas dire que je faisais plus de tournois, plus de matchs. Pas du tout, puisque je me rappelle très bien qu’à 11 ans, donc dans ma période « je ne sais pas trop pourquoi je tape dans la balle », j’avais effectué 110 matchs dans l’année ! Pour prendre un seul classement… L’année suivante, je savais pourquoi j’étais sur le terrain : je prends deux classements à l’intermédiaire (en une demi-saison) et un troisième en fin d’année avec un total de matchs inférieur (80).
Cet investissement total sur le terrain n’était évidemment pas qu’en match mais aussi à l’entraînement que ce soit en tennis, en physique ou sur des exercices de préparation psychologique. Je n’avais plus qu’une seule logique de vie : devenir un meilleur joueur.
Est-ce que tu regardais le tennis à la télévision ? Si oui, te souviens-tu d’un match qui t’a profondément marqué ?
Pas particulièrement étant enfant. Au collège, je regardais parce que je ne comprenais pas comment les joueurs faisaient pour frapper aussi fort en gardant la balle dans le terrain. J’étais plus admiratif qu’autre chose. Je n’étais pas dans le délire de fan, je n’avais pas forcément d’idole. Mais je préférais clairement certains types de joueurs qui correspondaient à mon caractère : Edberg plutôt que Becker et Sampras plutôt qu’Agassi.
Je n’ai pas en mémoire un match qui m’a particulièrement marqué. Par contre, ce qui m’a vraiment bouleversé, c’était de voir les joueurs pour de vrai, pas derrière un écran. J’ai vu au tournoi de Nice sur un terrain annexe, Marc Rosset pratiquer un tennis que mes yeux, mon cerveau ne comprenaient pas. Tout allait trop vite. J’étais à quelques mètres de lui, au même niveau, sur la même planète et ce que je percevais de son tennis n’était pas réel. C’était un autre monde. Et cette découverte sensitive (la déflagration des frappes, la fulgurance de la balle, l’aisance gestuelle) m’a beaucoup inspiré à l’époque même si je n’aimais pas vraiment ce joueur.
Quel était ton joueur ou ta joueuse préférée(e) lorsque tu étais enfant ? Qu’est-ce qui te plaisait particulièrement chez lui ou chez elle ?
J’ai toujours préféré les joueurs attaquants qui avaient de la classe dans leur jeu, de la facilité, de la fluidité. Qui gagnaient sur le terrain sans utiliser des moyens un peu limites, borderlines, pour déstabiliser l’adversaire ou l’arbitre par exemple. Des gars qui se démarquaient de leurs adversaires par leur superbe. Respectueux des règles, de l’éthique, des valeurs sportives. Edberg, Sampras, Federer plus récemment.
Bon, évidemment, en grandissant, tu apprends qu’on ne vit pas dans le monde des bisounours et que personne n’est tout blanc non-plus…
Et maintenant, qui est ton joueur / ta joueuse préférée ? Saurais-tu nous expliquer pourquoi ?
Maintenant, je préfère des joueurs ou des joueuses qui se démarquent sur le terrain par leur volonté, leur détermination, leur abnégation même. Je suis donc moins sensible à cette soi-disante perfection tennistique. Et plus admiratif du travail accompli par certains pour arriver à émerger, à exploser sur un terrain. Et ceci, peu importe le niveau finalement.
Par exemple, je suis admiratif du retour de Victoria Azarenka au plus haut niveau après sa grossesse et ses difficultés liées à la garde de son enfant. Et notamment, des changements effectués dans son style de jeu, preuves d’une grande maturité et d’une force de caractère hors du commun.
J’ai adoré comment Benoit Paire a puisé des ressources psychologiques dans le public français lors de son 1/8e de finale à Roland Garros en 2019 contre Kei Nishikori. Lui qui est si souvent décrié pour son mental parfois défaillant et son attitude plus que limite, il s’est arraché comme un beau diable et en utilisant le public à son avantage ! Dommage que la fin du match ne lui ait pas été favorable.
J’ai été admiratif du comportement de Kristina Mladenovic lors du double décisif en demi-finale de Fed Cup 2019 avec Caroline Garcia contre les roumaines (Simona Halep notamment). Elle a remobilisé Caroline (assommée après sa défaite en simple), elle a très bien joué les moments importants en mettant la pression sur la leader roumaine et, en plus, elle a sollicité le publique français pour faire la différence sur les points importants. Incroyable Kristina !
Est-ce que tu prends toujours autant de plaisir à suivre les stars du tennis ? Que penses-tu de l’évolution du tennis de haut-niveau ?
Je prends toujours du plaisir à regarder du tennis à la TV et surtout en vrai. Décrochez de l’écran, allez voir des vrais joueurs, des vrais échanges, des vraies sensations. Enfin… Dès que ça sera de nouveau possible…
Sinon, j’ai un peu de mal depuis quelques années à suivre vraiment les stars du tennis. Surtout dans le tennis masculin, parce que le podium ne bouge pas beaucoup depuis une éternité. Que les nouvelles générations, les « next-gen » m’ont plus déçu qu’autre chose. J’ai vu, comme tout le monde, une génération de monstres, de dieux du tennis, avec Federer, Nadal et Djokovic. Mais, j’attends du renouveau…
Concernant le tennis féminin, c’est différent. De par mes expériences professionnelles, j’ai appris à avoir un œil neuf sur ce tennis et à en apprécier tous les abords. Et surtout, à ne pas comparer avec l’autre tennis, le masculin. Ça n’est pas moins bien, c’est différent, avec ses propres spécificités et c’est très bien comme ça. Non, l’avenir du tennis féminin n’est sûrement pas le tennis masculin !
Est-ce que tu te souviens de ta première fois à Roland Garros et de ce que tu as pu ressentir à cette occasion ?
De mon premier Roland, je me souviens surtout des différentes atmosphères qui pouvaient régner à l’intérieur des courts et aussi à l’extérieur. Certains terrains étaient comme des enclos où deux bêtes féroces s’affrontaient sans retenue. D’autres, de véritables tragédies théâtrales. Les allées, bondées, évidemment.
Ce qui me plaisait énormément, c’était de me balader sur les annexes pour voir des joueurs et des joueuses de haut niveau évoluer sur un terrain à hauteur d’yeux. Tu peux presque voir les gouttes de sueur perler sur le front du serveur. En plus, tu peux assister à de sublimes doubles où les joueurs sont plus « à la cool », plus souriants aussi, moins en souffrance. Ça fait aussi plaisir de voir des joueurs s’éclater sur le terrain, dans ton sport favori, avec juste ce qu’il faut d’implication pour pratiquer un très bon tennis.
Saurais-tu nous expliquer ce qui te plaît particulièrement dans ce sport ?
J’aime l’idée que ce sport s’inscrit dans l’histoire et a abouti à la forme que l’on connait actuellement après de multiples évolutions, transformations. Les jeux physiques ont toujours fait partie des sociétés humaines. En jouant au tennis, on perpétue cette tradition du jeu de balle à la Française : le fameux Jeu de Paume.
On est ensuite en présence d’un sport où la composante « coordination » est poussée à l’extrême. Rares sont les sports où il faut maîtriser autant de formes gestuelles différentes, si compliquées à première vue, à des vitesses folles. La coordination s’effectue aussi entre deux objets, raquette-balle. Et que ces objets sont beaux ! Je ne remets pas mes cordes en place pour mieux jouer, mais bel et bien pour préserver un écartement parfait. Un tamis vu à plat est tellement magnifique avec ses fils passants dessus-dessous. Et que dire de la « couture » de la balle que vous pouvez observer à l’infini en faisant pivoter la sphère jaune entre vos doigts tel une petite planète…Je m’égare un peu…
Outre l’aspect physique et esthétique de la chose, il y a évidemment la dimension psychologique qui amène le sel, le poivre, voire la moutarde au nez ! On est quand même sur un sport qui amène des sensations hors du commun, des émotions extrêmes que vous ne retrouverez pas facilement ailleurs. L’ascenseur émotionnel est tellement fort. Dans un match accroché, tu peux passer d’une belle assurance, à un état de doute néfaste, pour remonter et avoir un peu d’espoir puis rechuter dans les limbes et finalement refaire surface, etc. Cela en apprend beaucoup sur le fonctionnement de vous-même, vos valeurs, vos convictions, votre philosophie et finalement sur votre humanité. On fait souvent l’apologie des sports collectifs pour leurs valeurs fraternelles, le fameux esprit d’équipe. Je voudrais ici rappeler que seul un sport individuel, totalement individuel (non au coaching sur le circuit classique !), permet d’éprouver autant un être dans son entièreté !
De quelle façon vois-tu l’évolution du tennis dans le futur ?
Dans un futur proche, je pense que le tennis de haut niveau va encore évoluer un peu plus vers le sport spectacle avec des événements supplémentaires à l’instar de la Roger Cup, de la Next Gen ATP Finals, etc. Des tournois où il n’y a pas de points à récupérer, mais où le show peut s’exprimer encore un peu plus.
Dans le même temps, je pense que le circuit majeur sera toujours la référence et que l’on pourra voir apparaître un 5e tournoi du Grand Chelem, en Asie sûrement.
Au niveau amateur, je pense que l’on va, comme dans d’autres sports (Ex : foot), vers la mixité. Pas une mixité obligatoire, mais plus une possibilité, une option supplémentaire pour les juges-arbitres. Dans un premier temps, chez les jeunes et les seniors, et pourquoi pas dans les tableaux « Open » ensuite. Il suffit juste de faire correspondre de manière intelligente les classements pour que les matchs soient équitables entre homme et femme.
L’ambiance club, c’est quelque chose d’important à tes yeux ?
L’ambiance club, c’est toute ma jeunesse ! Et même, après d’ailleurs ! Un club, ça peut vraiment être une deuxième famille. Je dis ça parce que j’ai vraiment vécu ceci quand j’étais en province surtout (sud-est de la France et Polynésie Française). Tes week-ends ? Tu les passes au club à jouer au baby-foot, au flipper, à faire des tournantes au mur, un foot sur 3m², des cache-caches derrière les poubelles, à piquer un terrain dès que les adhérents ont du retard pour le créneau suivant, etc. Tu pouvais rester au club toute l’après-midi, voire plus parfois, sans que cela pose aucun problème. Mes amis ? Ils étaient du tennis pardi ! On pouvait fêter les anniversaires au club. On piquait les fèves dans le champ d’à côté. On testait nos derniers vélos sur la rampe qui menait au club house. Skateboard pareil ! Premiers émois amoureux ? Pour des joueuses de mon club évidemment… Enfin, la vie quoi !
Alors c’est sûr, on vivait dehors h24, quand tu as le soleil toute l’année c’est plus facile. Mais n’empêche qu’un club, où qu’il se trouve en France d’ailleurs, doit être un lieu, un endroit permettant l’épanouissement des gens, jeunes et moins jeunes, des familles en fait. Le club devient alors un prétexte pour se retrouver. D’ailleurs, mes parents ne nous demandaient pas : « On va jouer au tennis ? », mais plutôt : « On va au tennis ? ». Le lieu devient alors plus important que la pratique seule.
Qu’est-ce qui te plaît le plus au Rueil AC Tennis ?
Ce que j’adore au RAC, c’est que ce club est un des premiers de France ! « Since 1910 » les gars ! C’est complétement fou. Quand je regarde les photos en noir et blanc, je me dis que je fais partie d’une des rares entités qui a permis l’émergence de ce sport dans notre pays, au tout début. Pionnier, je vous dis. Vous en connaissez beaucoup, vous, des clubs qui ont 111 années d’existence ? J’en suis fier et je trouve que ça devrait être encore plus mis en valeur.
Ensuite, il y a évidemment les compétiteurs qui gravitent chez nous. On est quand même dans une ville fortement « tennistisée » avec 103 courts de tennis au total (ndrl : je viens de voir cette information sur internet). Mais les pros de la compétition, c’est qui ? C’est nous ! Il faut quand même se rendre compte qu’on a des joueurs et des joueuses sur le circuit professionnel. Et des plus jeunes de niveau régional et national. Des champions de France seniors par équipe et individuel, ainsi que des champions du monde… Quand je compare avec les petits clubs de province de mon enfance : la star, c’était mon prof et il culminait à un classement de 0… c’est déjà bien, mais bon, on n’est pas dans la même cour.
Et enfin, pour finir, c’est le potentiel qui se dégage de ce club. Je veux dire : j’ai déjà vu des clubs où les terrains étaient encerclés par des immeubles, ou coincés entre la mer et la montagne, explosés sur quatre sites différents, avec un Club House agréable, un Comité Directeur sympathique, des gens corrects, une politique sportive de la ville moyenne mais pas catastrophique non plus, etc. Et au final ; tu reviens dans 10 ans, dans 20 ans, ça sera pareil ! Pas bougé d’un iota… Alors que pour nous, tout est possible ! La perspective d’évolution est incroyable. On a de l’espace, une bonne situation géographique, dans une ville jeune, dynamique, en pleine expansion. À quelques mètres de la plus haute instance tennistique du département (Comité de Tennis des Hauts-de-Seine). Sincèrement, on a une pépite entre les doigts. À nous, acteurs du club, d’en faire un joyau.